Depuis son installation à Stoneham, La Souche a cultivé une idée qui m’a séduit d’entrée de jeu, celle d’intégrer un maximum de produits issus de la cueillette sauvage dans le menu des bières de la microbrasserie.
Cette idée me plait d’abord pour ce qui est de la question identitaire, car arriver à faire des bières avec des produits qui viennent spécifiquement de chez nous, c’est offrir une contribution authentiquement québécoise au monde brassicole.
C’est aussi une idée séduisante au sens où récolter ce qui pousse naturellement sur le territoire, c’est recevoir avec humilité les propositions de la nature, une sorte de “cocréation” avec des contraintes proposées au fil des saisons. Bref, décider de brasser les goûts du territoire, c’est prendre un chemin où l’on ne décide pas de tout, à commencer par les disponibilités des produits. En effet, il est difficile de brasser une bière à l’épinette en janvier si on n’a pas congelé le produit en juin.
Lorsque Antoine, copropriétaire de La Souche, nous a demandé si on pouvait fournir des pousses de résineux et des fleurs sauvages, je ne croyais pas que ça permettrait de produire des bières comme la Tordeuse impériale, primée à Londres en tant que meilleure black IPA au monde! C’est tout un “feeling” de réaliser que la cueillette d’un produit sauvage peut mener à un pareil résultat. Ça génère de la fierté, bien sûr, mais surtout une prise de conscience fondamentale : la nature est généreuse et pour être en mesure de goûter ce qu’elle nous offre, il faut définitivement en prendre soin et, surtout, apprendre à mieux la connaître.
Fréquenter Antoine, mais aussi Pierre et Jean-Christophe, qui œuvrent savamment au brassage des bières de La Souche, ça m’a également permis d’apprendre à brasser à la maison. J’ai fait mes petites expériences pour découvrir que les possibilités que nous offre la nature québécoise sont sans limites. Comment deviner que la fleur d’épilobe offrira un goût de gomme balloune lorsqu’elle aura été fermentée ? Ou encore comment imaginer la puissance du goût poivré que peut procurer la monarde ou la complexité et la subtilité des saveurs qui peuvent surgir de la fleur de pissenlit, récoltée au moment où elle est gorgée de soleil et de saveurs? C’est tout cet univers que nous avons découvert grâce aux cueillettes sauvages.
La forêt est là, tout autour de nous, dans la région de Stoneham-et-Tewkesbury, mais elle ne fait pas encore assez partie de l’équation, elle n’est pas assez présente dans nos réflexions sur le futur, dans nos panifications en lien avec notre développement social et économique. La forêt n’est pas qu’un décor, c’est un personnage de premier plan dans une région comme la nôtre et il faut continuer de l’inviter à notre table, la laisser entrer dans nos vies et faire les choix qui s’imposent afin qu’on puisse cuisiner et brasser de bonnes bières avec sa complicité pour longtemps encore.